Publié le 21 août 2025
Sans titre, 2025. Tissage, papier, lin, couture, techniques mixtes
Amandine Lamand
Alors que son exposition "Voir Encore" se poursuit jusqu'au 20 septembre au Centre culturel de Ciney (➚ infos), nous sommes partis à la rencontre de la namuroise Amandine Lamand.
A côté du temps passé dans son atelier, Amandine Lamand fait partie de ces artistes qui transmettent leurs connaissances et encouragent l'expression chez les autres, tantôt en académie, tantôt dans notre Centre d'Expression et de Créativité « Ateliers'Bis ». Elle n'a de cesse d'y encourager l'expérimentation autour du trait, de la ligne, de la couleur et de la matière pour amener les participants et participantes à s'inventer leurs propres langages dans un rapport entre le visible et l'invisible, toujours dans le sensible. Travail d'impression, de formes ou encore de pliage, les techniques sont multiples et se croisent, chacune offrant un nouveau souffle à l'autre.
À la croisée du textile, du dessin et de la sculpture, Amandine Lamand explore la matérialité et la porosité entre les disciplines. Par le fil, le trait, le pli, elle interroge les limites du regard et la manière dont la matière se transforme, se déploie, s’efface. Chaque geste inscrit une mémoire, chaque entrelacs capture un instant, un équilibre précaire entre ce qui se voit et ce qui se devine.
Les matériaux s’entrelacent et se métamorphosent : le papier évoque le textile, le trait devient fil, le fil se fait écriture ou sculpture. Tout oscille entre présence et disparition, entre réalité et illusion. Amandine Lamand tisse un espace où le regard vacille, où les limites se brouillent, où le temps suspend son cours.
Rencontre.
Sans titre, 2025. Tissage, papier, lin, techniques mixtes.
Amandine Lamand
CCN : Amandine, quelle symbolique habite ton travail ?
AMANDINE : Clairement, celle du lien. Le lien entre la matière et le geste artistique, celui entre mes œuvres et les spectateurs, mais aussi plus largement les liens fragiles et complexes qui touchent à l'humain. Oui, ces zones de tensions me questionnent énormément.
CCN : Comment te positionnes-tu pour embarquer le spectateur sur ce chemin ?
AMANDINE : En rendant perceptible l'imperceptible et en jouant avec le regard : ce que je vois de loin, ce que je vois de près... Je tente continuellement de semer le trouble dans la perception de celles et ceux qui se retrouvent face à mon travail.
Sans titre, 2025. Tissage de papier coton embossé à la main, mine de plomb, lin. 50x52cm.
Amandine Lamand
CCN : Avec quelles techniques, quels matériaux ?
AMANDINE : J’explore plusieurs techniques : le tissage, la sculpture, le dessin, la peinture. Depuis peu, j'ai également envie d’intégrer les mots. Dernièrement, sur un papier travaillé, j’ai d’ailleurs inscrit cette phrase : « Voir pour ne plus savoir ». C’est en quelque sorte la phrase qui résume ma démarche : on voit, mais sans jamais savoir exactement ce que l’on regarde.
L'idée de métamorphose m'habite beaucoup. La matière se transforme peu à peu sous mes gestes. Les matériaux changent d’apparence : le papier devient fil, le textile devient matière. C’est comme si chaque support était en perpétuelle mutation
L'idée de métamorphose m'habite beaucoup. La matière se transforme peu à peu sous mes gestes. Les matériaux changent d’apparence : le papier devient fil, le textile devient matière. C’est comme si chaque support était en perpétuelle mutation ; je le peins, je le dessine, je le traite comme s’il appartenait à un autre registre. C'est notamment par ces interactions entre les matières que se crée une forme de trouble, une ambiguïté. Du coup, le spectateur se retrouve quelque part lié à la pièce parce qu’il ne la comprend pas entièrement.
CCN : Et puis il y a aussi cette idée de ligne qui est très très présente.
AMANDINE : La ligne c'est la trace, c'est le fil, c'est l’idée de structure, de cadence. Là je prépare une œuvre pour une exposition à Ciney dans laquelle le fil devient porcelaine, une sculpture qui viendra jouer avec l’espace.
Sans titre, 2025. Papier coton, techniques mixtes.
Amandine Lamand
CCN : En fait, ce qui t’intéresse, c’est d’atteindre un point de bascule où la transformation empêche toute certitude.
AMANDINE : Exactement. Même lorsqu’une réponse semble apparaître, elle reste insaisissable.
CCN : C'est probablement pour cela que lorsque l'on considère tes œuvres, on y devine une grande physicalité. Qu’est-ce que tu ressens quand tu crées ?
AMANDINE : Dans mon atelier, je suis dans une bulle. Je ne me lance pas dans la fabrication d'une pièce, et puis hop, elle est là. Non, je reste bien souvent pendant des heures dans un état de pensée. Le rapport direct à la matière, à la couleur aussi. Je les observe et les fait sortir de leurs états premiers, en fonction du mien. Je les questionne dans leurs nuances et leurs limites... Ca remue énormément. C'est de l'ordre de l'instinct, du sensoriel et du physique à la fois. Je m'impose beaucoup d'exigeance en fait. Et avec un peu de recul, après avoir beaucoup cherché à déterminer là où allait porter mon intention, aujourd'hui, j'ai le sentiment d'être au plus juste de ce que je ressens dans le rapport au sensible et à ces fameuses nuances. Tout cela me renvoie à la subtilité des rapports humains. Même si je n'ai pas encore tout livré de mon intime, l'envie est grande d'aller encore plus loin.
Sans titre (dessins), 2025 Papier coton, techniques mixtes, gravure à la main, couture. 21,5 x 30 cm.
Amandine Lamand
CCN : Et puis, à un moment, tu mets ta casquette d'animatrice d'atelier ou encore d'enseignante en académie et tu te retrouves dans l'énergie d'un groupe...
AMANDINE : Oui, et ça me fait du bien. Depuis mon enfance, je me suis créé un monde dans lequel la création occupe de l'espace. C'est une bulle dans laquelle je me sens bien. C'est là où je vais rechercher mes ressources. En sortir, ça me reconnecte à la réalité. Et puis, enseigner, animer, transmettre j'adore. J'aime être dans l'échange avec les gens pour autant qu'ils s'inscrivent dans la sincérité.
CCN : Qu'essayes-tu de construire – ou déconstruire – tantôt avec tes participants et participantes, tantôt avec tes élèves ?
AMANDINE : Je les pousse à chercher, chercher encore et toujours, de sortir de l'obligation d'un résultat défini ou d'être nécessairement dans le beau mais plutôt des les aider à identifier et tenter des choses qui les intéressent, des choses qui leur correspondent, qui soient pleines de justesse pour elles, eux. Exactement ce que j'expérimente dans mon propre travail. Oui, se sentir juste, faire des tentatives. C'est une part de moi que je livre. C'est physique.
CCN : L’échange avec les participants, participantes influence-t-il ta manière de créer ?
AMANDINE : C'est une nourriture pour ce que je suis. C'est intéressant d'observer comment les personnes réfléchissent ou d'identifier comment elles fonctionnent, de voir ce que je peux leur apporter, comment je peux les aider ou éveiller des choses en elles, en eux. Je les questionne beaucoup, du coup cela entretient de l'échange et du lien humain qui me poussent moi aussi dans mes propres questionnements. Autant je m'engage énormément dans mon propre travail, autant je m'engage à cet autre niveau avec les élèves ou les participantes, participants.
CCN : Avec quelle différence en acadamie et en centre d'expression et de créativité ? On sait qu'en académie, on répète un geste jusqu'à sa maîtrise; et qu'en CEC, on encourage l'expression pour ce qu'elle est.
AMANDINE : La disponibilité en terme d'espace temps est différente entre des élèves d'académie et des participantes, participants d'ateliers d'expression et de créativité. Les personnes ne viennent pas chercher la même chose. Il est par ailleurs intéressant d'observer que certaines passent de l'un à l'autre. En académie, vu le temps consacré par les élèves, il y a une intention d'approfondissement du geste plus importante qu'en centre d'expression et de créativité. Sur un modèle de deux rendez-vous de trois heures par mois, le CEC est plutôt un espace qui permet de sortir de son train-train quotidien. De s'offrir une bouffée d'air libre. Mais ce qui importe avant tout, outre cette notion de disponibilité physique, c'est la disponibilité mentale car elle est nécessairement en lien avec l'acte de création. Sans disponibilité mentale, il n'y a pas création. Loin des comparaisons, je pousse à l'expérimentation des deux côtés. En académie, il y aura un juste un cours à suivre, tandis qu'en CEC, j'amène plutôt des proposiitions de projets.
POUR ALLER PLUS LOIN :
Instagram : @amandine.lamand
Interview menée par : Jean-François Flamey / CCN