Ce sont des lieux bien réels mais qui échappent aux logiques familières, où les contraires se rencontrent sans s'annuler.
Pour cette saison 25-26, nous vous invitons à pénétrer une étendue étrange, un miroir brisé du monde. Ce n’est ni ici, ni là-bas, mais un endroit qui échappe aux logiques familières. C’est une île qui dérive, un jardin suspendu où les contraires se rencontrent sans s’annuler.
Nous faisons référence à ce que Michel Foucault a appelé (en 1967) les hétérotopies. Il se fait alors l’initiateur d’une science nouvelle et, par définition, improbable : la science des espaces utopiques, ou, plus précisément, comme il le nomme lui-même, des espaces hétérotopiques. Précisons qu’il entend par là moins une science savante qu’une science rêveuse. Cependant, si l'utopie offre un idéal sans ancrage tangible, l'hétérotopie, elle, correspond à un lieu réel.
Un lieu réel, chargé d’une signification particulière, qui interroge et transforme les relations sociales et spatiales traditionnelles ; subvertit les normes ; rassemble des réalités contradictoires ou paradoxales dans un même espace ; remet en question les discours dominants et propose une autre façon d’organiser le monde.
Un lieu qui accueille les marges et les différences, tout ce qui ne s’inscrit pas dans le cadre.
Un lieu de défouloirs autorisés.
Un lieu où le temps se courbe et s’étire : l’instant devient éternité, ou bien des siècles défilent en un souffle.
C’est le Théâtre, où l’espace devient un monde entier en une poignée de planches.
C’est le navire, plateforme flottante qui glisse entre les continents. C’est l’asile où l’esprit s’égare, la bibliothèque où mille mondes se touchent sans jamais se confondre, l’hôpital où l’on suspend l’instant pour sauver un avenir. C’est le musée où s’accumulent les traces du passé pour que le présent s’en souvienne. C’est le carnaval, où l’ordre social s’inverse, où le rire renverse les couronnes ; …
En somme, l’hétérotopie est un refuge, une soupape, une fracture dans le tissu du monde.
Quand le Théâtre de Namur et le CCN incarnent ces espaces réels et imaginaires, où les générations se croisent et se nourrissent ; où les territoires se racontent pour nous faire voir le monde en 360° et au-delà ; où les voisins se rassemblent à la même table que les artistes de contrées éloignées ; où toutes les révolutions sont possibles, celles d’hier qui nous sont redites et celles de demain pour lesquelles il nous faut établir les contours ; où se mêlent les histoires du vivant et de l’intelligence artificielle : une zone collective où l’individu se renforce ; un espace en constante évolution, transformation, remise en question, indignation ; un espace d’émancipation et abri pour la pensée critique ; un espace où des imaginaires nouveaux et des récits alternatifs se construisent.
Quand le Théâtre de Namur et le CCN incarnent ces lieux bien réels mais qui, pourtant, n’appartiennent à aucune carte ni aucun ciel.
Virginie Demilier
Directrice générale et artistique
