Publié le 28 août 2025
Elle mobilise plus de 500 personnes chaque année, la Parade des Lanternes fait partie de ces actions collectives qui créent un sentiment positif d’appartenance aux mêmes valeurs que celles de son voisin, peu importe d’où l’on vient. Car oui, derrière la poésie et la magie unique du moment, la parade témoigne avant tout de la combativité et de l’espoir qui rassemble.
Si elle se déroule chaque année à la date du 17 octobre en clôture de la Journée de Lutte contre la Pauvreté à Namur, la parade s’invente de longs mois à l’avance lors d’ateliers de fabrication un peu partout en Wallonie : de Namur à Hotton en passant par Couvin ou encore Angleur. Des ateliers comme autant d’espaces pour se rencontrer, explorer sa créativité et s'engager librement pour défendre ses idées. Des moments suspendus lors desquels chacun, chacune, se coupe un bref instant des urgences bien réelles du quotidien pour mieux les exposer au plus grand nombre lors de cette parade.
Pour nous en parler, Christine Mahy, une des grandes figures wallonnes de la lutte contre les inégalités et la pauvreté. Militante engagée en faveur d’une société plus juste et plus collective, pour Christine Mahy, il est capital que notre société prenne en compte les personnes fragilisées en les libérant de leurs inquiétudes du quotidien (on ne parle pas ici du seul temps d’une parade mais bien au jour le jour) et ainsi leur permettre de se réaliser en tant qu’êtres humains. Autrement dit, leur permettre d’exister. Être mieux dans sa tête, c’est aussi être mieux dans son corps. Une forme d’investissement dans l’humain bénéfique pour le moral de la société, et même de l’économie. Une société qui se veut équilibrée, doit considérer avant tout la vie humaine comme importante et envisager les possibilités de chacun comme importantes pour l’ensemble. Une posture sociétale qui vient alimenter fort logiquement notre fil thématique de la saison : « Vivre le pouvoir du collectif ».
CCN : ll est évidemment inimaginable de construire un discours autour de la lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale en dehors d’une participation des premières personnes concernées mais aussi de l’entièreté de la société. Ce qui frappe lors de la Parade des Lanternes - comme dans tant d’autres actions posées par le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté - c’est qu’on y rencontre des personnes venues de tout horizon, chacun, chacune, arrivant avec sa propre culture et ses propres ressources. Un sens aigu du collectif s’en dégage. Comment expliques-tu cette énergie ?
L’énergie et le sens aigu du collectif qui se révèlent lors de la parade n’ont pas été décrétés. Ils se construisent avec la base, à travers tous les chantiers portés par le RWLP et des partenaires qui agissent dans la même dynamique.
J’utilise le terme chantier, car combattre les inégalités et lutter contre la pauvreté, c’est de la déconstruction-reconstruction. C’est notamment déconstruire le préjugé d’une soi-disant passivité assistée que certains collent à la peau des personnes qui se débattent pour survivre à la pauvreté pour reconstruire la réalité-vérité qu’est le combat quotidien que revêt le fait de chercher à vivre malgré la pauvreté.
C’est aussi retrousser ses manches pour défendre, revendiquer et rééquilibrer par un travail acharné qui se traduit dans des prises de parole et des actions diversifiées.
Et pour mener ce très ambitieux chantier, il faut disposer des multiples expertises, savoirs et compétences que possèdent les premiers et les premières concernés, concernées par les inégalités et la pauvreté.
C’est donc dans le « faire ensemble » que se construit la confiance nécessaire pour mener cette lutte commune dans laquelle les gens se reconnaissent.
La parade elle-même est un chantier au sens littéral du terme. Un chantier au sein duquel chaque personne a conscience de la nécessité de la participation de l’Autre, des autres ! Il s’en dégage une forte conscience de participer à un moment symbolique et fort, qui relie, qui consolide, qui projette dans la suite et qui dépasse le réel pour un moment tout en amenant du beau dans cette nuit de militance.
Et puis rien ne s’arrête après la parade, les gens savent que ce coup de boost partagé, solidifie le collectif pour repartir au combat. Le chantier est permanent ! Et plus indispensable encore aujourd’hui qu’hier.
CCN : À travers la parade, les personnes seraient-elles en train d’inventer collectivement leur propre parole politique ? Avec quels effets de transformation sur toutes ces personnes, et pour quels prolongements ?
La parade et sa préparation lors des nombreux ateliers collectifs en amont, est une des manières d’inventer une parole politique commune.
A elle seule, elle ne suffit évidemment pas, mais sans elle il manquerait réellement quelque chose. En effet les dialogues entre les personnes que provoquent les ateliers lanternes, et la chaleur solidaire qui existe au sein de la parade, sont des moments privilégiés de prise de conscience d’une force collective qui peut s’emparer de la question sociale qui nous occupe. C’est une contribution à l’invention de la parole politique.
L’expression artistique collective ascendante, qui occupe l’espace public, avec une intention de démontrer la force d’un combat et la non-résignation, est en soi une parole politique. La parade relie l’amont et l’aval… elle est devenue un temps suspendu collectif, une respiration commune, indispensable entre une année de lutte qui se termine le 17 octobre et qui reprend le 18 octobre.
Est-ce qu'elle transforme les personnes à titre individuel ? Ce n'est peut-être pas à nous de le dire… mais par contre, nous pouvons affirmer qu’elle agrandi chaque année un peu plus le cercle du collectif qui s’engage dans ce combat contre la violence qu’est la pauvreté, et elle les renforce dans la conviction de porter un combat juste.
CCN : Mais face aux décideurs, utopie ou réel levier ?
Face aux décideurs, je dirais que la parade est à la fois indispensable et utile, et porteuse d’une utopie. Si notre utopie c’est avoir la conviction que les inégalités et la pauvreté pourraient ne plus faire partie du monde de demain, alors oui la parade y contribue.
Est-ce un levier dans le cadre des relations, négociations, confrontations avec les décideurs ? Nous avons la prétention de croire qu’elle joue son rôle de piqure de rappel, avec la force et les limites de son format. A tout le moins son existence annuelle affirme que la culture, la création et l’éducation permanente articulées entre elles, sont des leviers de construction de paroles collectives qui interrogent légitimement la question sociale la rende publique.
CCN : Quelle est la dernière chose qui t’a mise en joie ?
C’est une question particulière dans le contexte actuel où le délitement des droits, l’appauvrissement des populations, l’augmentation des inégalités, le spectre de l’extrême droite, le réarmement et les guerres, l’affaiblissement de la démocratie, l’oubli du climat, sont plus qu’à nos portes ! Difficile d’être réellement en joie !
Toutefois, les mobilisations collectives soutenues pour dénoncer le drame vécu par la population à Gaza, pour refuser le piétinement des droits des travailleurs et travailleuses et demandeurs, demandeuses d’emploi chez nous, ainsi que pour combattre l’extrême droite, sont de nature à ramener un sourire lorsqu’il n’y est pas. Cela étant, le moment impose de ne pas faiblir, bien au contraire. Se nourrir des forces convergentes solidaires y aide.
POUR ALLER PLUS LOIN :
Site web : www.rwlp.be
Interview et photos : Jean-François Flamey / CCN