Kiyémis
© Adeline RaponEt si la joie était un acte de résistance ? C’est le pari que propose Kiyémis, poétesse et autrice afroféministe. La joie comme acte politique : un titre qui intrigue, dans un monde saturé d’angoisses, traversé par la fatigue politique, la montée des extrêmes et la crise écologique. Parler de joie, dans un tel contexte, semble presque dissonant. Et pourtant, c’est précisément là, affirme-t-elle, que la joie retrouve sa force subversive. Ce n’est pas une joie qui nie les douleurs du monde, mais une joie qui y résiste. Une joie lucide, ancrée, active.
Longtemps portée par la colère, Kiyémis raconte comment cet affect moteur a fini par l’épuiser. « J’étais en train de me consumer », confie-t-elle. La colère est une étincelle, mais elle ne peut être le feu qui nous maintient dans la durée. Ce qu’elle découvre alors, ce n’est pas une joie naïve ou déconnectée, mais une joie exigeante, capable de coexister avec la douleur, avec la lucidité, avec les désastres. « J’ai vu des gens danser dans les cortèges, rire entre deux slogans. »
La joie n’est pas une émotion de confort, mais un élan vital, une promesse, un lien. Elle surgit dans les luttes, les gestes de solidarité, la création collective. Elle s’oppose au fatalisme ambiant.
« On a longtemps dit que la joie n’était pas sérieuse, que ça n’avait pas sa place dans le combat politique. » Or pour elle, la joie véritable n’est pas individuelle. Elle naît dans le partage, dans les relations créées. C’est une énergie qui donne envie d’agir, de rester vivants, ensemble. Une invitation à penser la joie non comme un luxe ou une frivolité, mais comme une arme politique, un levier d’émancipation, un moteur pour tenir, espérer, lutter, sans jamais perdre de vue la gravité du réel.
Le titre de son émission sur Mediapart, Rends la joie — une série d’entretiens avec des artistes autour de la place de la joie dans leurs œuvres et leurs combats — détourne un slogan bien connu : « Rends l’argent ». Un clin d’œil, mais surtout une manière de revendiquer ce qu’on nous a volé. « On nous a confisqué la joie. On l’a réduite à un produit de luxe, à un privilège mérité après avoir coché toutes les cases. Comme si elle devait se gagner. » Pour Kiyémis, au contraire, « la joie devrait être un droit. Une ressource publique. Un commun. »
Cette revendication n’est pas seulement philosophique. Elle est profondément politique. « Il y a des puissances qui ont intérêt à ce qu’on soit découragés, divisés, désespérés. » La joie, dans cette perspective, devient subversive. Parce qu’elle ouvre l’imaginaire, elle donne de la force, elle rend contagieux le désir d’agir. Choisir la joie, c’est refuser de se résigner à l’effondrement, sans le nier. Kiyémis appuie sur l’importance de cultiver les lieux où la joie circule, où l’on apprend, où l’on fait ensemble, où l’on tisse du lien. « J’ai cessé de croire qu’on allait changer le monde par la pure dénonciation. Ce qui transforme, c’est ce qui donne envie. Ce qui met en mouvement. Ce qui donne de la force. »
Dans une époque saturée par l’angoisse et le découragement, choisir la joie devient un acte politique. Un refus de céder. Une manière de rester debout, ensemble. Un étendard pour l’avenir, sans détourner le regard du présent.
POUR ALLER PLUS LOIN :
Site web : www.lesbavardagesdekiyemis.wordpress.com
Instagram : @kiyemis
Et si la joie était une forme de résistance ? Un moteur puissant pour faire communauté, créer et résister ensemble ? Lors de cette conférence, Kiyémis, Isabelle Fremeaux et Louise Knops partageront leur regard, leurs récits et leurs pratiques autour de la joie comme levier de transformation collective.